neige-a-molitg-mars10-002Dressées sur un éperon de granit dominant la Castellane, les ruines du château de Paracolls gardent depuis des siècles les gorges étroites et profondes creusées par la rivière.

C’est une des plus anciennes forteresses du Conflent (son nom est cité en 948) construite, comme son nom l’indique, pour défendre un col (dans ce cas il s’agit plutôt d’un défilé). Elle a fait partie du réseau de tours à signaux qui remontait jusqu’à Mosset et au-delà, vers le col de Jau.

On pense que c’est à Paracolls qu’est né le troubadour catalan Béranger « instruit, courtois et vaillant, mais peu fortuné ».

photos-pour-ot-et-bm-087Il reste une partie de la chapelle dédiée à Saint-Pierre : l’abside semi-circulaire et une partie de la nef, une citerne et des pans de murailles.

Paracolls est accessible à pied à partir du parc de l’établissement thermal et à partir de Campôme. Très belle vue d’ensemble sur Molitg et la vallée en amont vers Mosset et en aval vers Prades.

 

 

 

La légende de Paracolls

Le goûr de la mousse

Tout fait supposer que le château de Paracolls fut détruit dans une guerre. Les souvenirs glorieux s’effacèrent devant les torches incendiaires et vengeresses. La chapelle consacrée au Prince des apôtres fut souillée, et la fière demeure féodale devint une ruine. L’herbe croît, çà et là, où de belles châtelaines ont foulé le sol et le hibou fait entendre son chant de mort dans les tours démantelées où, autrefois, circulaient des hommes d’armes. Les soirs de clair de lune, alors que Paracolls semble projeter son ombre protectrice sur la vallée, les gens du pays voient un pâle fantôme errer sur les rochers escarpés où nul pied humain ne saurait se poser. La vision passe, lente et comme automatique, les bras levés, semblant jeter un anathème sur le château, car la race des Paracolls a été maudite par Guillelma la devineresse.

I.

Par une chaude matinée d’avril, les sentiers conduisant au château de Paracolls étaient encombrés de vassaux en tenues de l’été, de chevaux et de mulets montés par de puissants seigneurs et de nobles châtelaines.

C’était jour de grandes liesses, le baron Guillem Bernard de Paracolls, seigneur de Molitg, de Campôme de Conat, de Fornols, de Stanyils et autres lieux épousait Aldoncia, fille du baron de Domanova. À sa brillante dot, la jeune femme joignait une rare beauté. On la disait bonne, quoique fière. Les vassaux se réjouissaient dans l’espérance que son influence adoucirait je caractère de leur seigneur. En ce jour, tout le monde était en joie ; les serviteurs distribuaient force provisions et bons mangers, le seigneur faisait largesse.

La cour d’honneur du château présentait un aspect inaccoutumé, tapissée de guirlandes de buis, jonchée de fleurs, elle était trop petite pour contenir la foule des invités. C’était en descendant de cheval que les jeunes époux devaient boire le vin de l’arrivée, dans une coupe présentée par le plus ancien serviteur, et saluer tous ceux qui étaient accourus pour leur souhaiter la bienvenue.

La sentinelle placée dans le donjon sonne du cor, pour annoncer l’approche du cortège. Le son argentin de la cloche de la chapelle se fait entendre, les hommes d’armes sont à leurs postes, chacun occupe sa place.

Sur les sentiers conduisant à la demeure seigneuriale, la cavalcada se déroule, imposante et magnifique. Précédée de hérauts sonnant de la trompette et portant les bannières de Paracolls et Domanova, l’épousée à fière mine sur sa blanche haquenée harnachée de drap d’or.

Les hauts barons et leur suite font partie du cortège ; les brillantes armures des chevaliers se mêlent aux riantes toilettes des dames, dont le brocart, le velours et le samit rehaussent encore la beauté.

Le piaffement des chevaux, les rires, les doux propos éveillent des échos.

Suivant l’usage de l’époque commun à toutes les classes sociales, avant que les époux franchissent le pont-levis, les jeunes filles, marguillières de la chapelle de la vierge, viennent, précédées de quelques musiciens, barrer le passage à la cavalcada en tendant un ruban en travers du chemin. Elles s’approchent ensuite des châtelains à qui elles offrent des fleurs et reçoivent en échange, dans un petit panier garni extérieurement et intérieurement de soie brodée d’or, quelque menue monnaie pour l’entretien de la chapelle. Le joli petit panier est présenté successivement à chaque couple d’invités qui y dépose son offrande.

Au son des clairons et des doulcines, les jeunes mariés franchissent le perron d’honneur et prennent place sur une estrade de velours rouge, ornée de l’écusson des Paracolls et des Domanova, pour recevoir la bénédiction de l’évêque d’Elne venu avec les abbés de Notre Dame de Poblet et de saint Martin du Canigou se joindre au chapelain de Paracolls.

Un serviteur s’avance, portant une aiguière d’argent et une coupe qu’il emplit de vin jusqu’au bord. Guillem la prend et la présente à la châtelaine qui y trempe ses lèvres. Élevant ensuite la coupe au-dessus de la tête de la jeune femme pour attirer sur elle et leur postérité toute félicité, il la vide d’un seul trait aux applaudissements et aux hourras d’allégresse de toute l’assistance.

Le festin est plantureux, éclairé par de nombreuses torches, royalement servi par une nuée de valets qui s’efforcent de satisfaire tous les désirs des convives. La salle d’armes et la salle des vassaux sont encombrées de tables et d’invités. Dans la cour et aux alentours de la demeure seigneuriale, les habitants prennent eux aussi part à la fête et se préparent aux danses du pays, danses toutes particulières qui descendent des Maures. Les jutglars ou jongleurs accordent leurs instruments, hautbois, cornemuses et flageolets. Au son de cet orchestre les rondes s’exécutent, cavaliers et danseuses s’avancent alternativement, vont, viennent, remuent, s’agitent avec un entrain tout méridional.

La danse préférée est sans aucun doute le ball, sorte de danse arabe où chaque danseur, muni d’une burette de verre blanc, à panse large et goulot étroit, garnie de plusieurs menus becs, fait pleuvoir sur sa cavalière une fine rosée d’eaux de senteur.

Dans l’animation générale, on danse aussi dans les salons et nul ne s’est aperçu de l’air préoccupé de Paracolls. À différentes reprises un serviteur s’est approché du châtelain et à voix basse lui a glissé quelques mots auxquels celui-ci répondait chaque fois par un refus énergique: «Qu’on chasse cette importune ! »,dit-il violemment en frappant du pied, exaspéré par une telle insistance. Le valet affolé par cette colère soudaine qu’il vient de susciter part au plus vite exécuter l’ordre de son maître.

Au milieu des réjouissances, l’heure du coucher approche. Selon la coutume, le plus proche parent de la mariée, après avoir dansé avec elle, la place sur son épaule dans un saut à deux et l’amène jusqu’à la chambre nuptiale, suivi des femmes qui apportent de l’eau, du vin et des biscuits.

À peine la jeune épouse est-elle remise entre les mains de ses suivantes, qu’une vieille femme vêtue de noir franchit hardiment le seuil de ses appartements et s’avance vers elles résolue et menaçante. Les spectateurs horrifiés par cette apparition reculent, attendant anxieux ce qui va se passer.

Des pas précipités se font entendre; c’est le seigneur de Paracolls, pâle et hagard, qui s’élance au-devant de sa jeune femme, prêt à lui faire un rempart de son corps, empêchant la vieille d’approcher plus.

«Recule-toi, Guillem Bernard», lui dit celle-ci ; et, se tournant vers l’épouse indignée d’une telle familiarité : « que faut-il penser, Madame, d’un chevalier au cœur félon qui viole sa foi? Seigneur de Paracolls, je vous rends ce qui vous appartient ! Votre fils! votre héritier légitime! l’enfant de ma fille adorée.»

Entrouvrant sa cape, elle présente à tous les yeux ébahis un bel enfant endormi.

Éperdu, Guillem se précipite vers elle, mais d’un geste impérieux Aldoncia le retient et folle de colère elle s’avance vers l’enfant comme si elle avait voulu saisir, étreindre, anéantir cet héritier des Paracolls dont ses propres enfants seraient un jour les vassaux. Mais le bras de l’aïeule, un bras de fer, la repousse; et, levant la main vers le Christ orné de buis béni : « Guillem Bernard de Paracolls, Aldoncia de Domanova, au nom de ma fille disparue, je vous maudis ! » La malédiction s’échappe en sons rauques de ces lèvres desséchées; en proie à une violente crise de nerfs, la châtelaine perd ses sens. Lorsqu’elle revient à elle, la femme et l’enfant ont disparu; seul, Guillem à ses genoux implorait son pardon.

II.

Un jour, deux femmes, la mère et la fille, arrivent dans le pays. Tout, dans leur langage, dans leurs attitudes, dénote des personnes du plus haut rang. Les habitants disent tout bas : « Ce sont des descendantes des anciens rois de Grenade chassées de leur patrie par l’infortune. », mais rien dans les actes des étrangères ni dans leurs paroles ne trahit leur secret.

Guillelma, la mère, aime son enfant d’un amour touchant au fanatisme, une affection vivement ressentie par la fillette. Elles s’établissent dans le village où la mère, par quelques prédictions réalisées, acquiert bientôt un grand prestige sur l’ensemble des natures naïves et superstitieuses des montagnards. Elle est surnommée alors Guillelma la devineresse. Chacun la salue; lorsqu’elle passe, pas un enfant n’ose la regarder sans faire le signe de la croix.

L’enfant grandit et devient une adorable jeune fille; au retour d’une chasse, le seigneur de Paracolls la rencontre, couronnée de fleurs, ses cheveux blonds flottant au gré de la bise. Elle garde sa chèvre dans la montagne en chantant sur un rythme monotone et dans un dialecte étrange une chanson que sa mère lui avait apprise. Les oiseaux l’écoutent en silence alors que les feuilles se penchent pour mieux l’entendre.

C’est ainsi que Guillem la vit pour la première fois et son cœur soudain est tout entier à elle; il se couche sur son cheval, comme s’il voulait l’emporter dans ses bras et la cacher derrière les murs de son manoir; mais devant ces grands yeux noirs si doux qui se fixent sur lui, il rougit de sa pensée. Sautant à terre, il cueille une fleur sauvage et la place dans les blonds cheveux de l’enfant.

Éperdument épris, il veut lui donner son nom et l’épouse secrètement selon l’usage du temps ; de cette union naît un fils.

La mère meurt peu de temps après, rongée par le chagrin d’avoir été abandonnée par celui qui lui avait juré fidélité et amour ; depuis lors les paysans voient Guillelma sombre et silencieuse, berçant sur ses genoux un petit être que nourrit la chèvre. Portant sur lui la vive affection qu’elle avait toujours eue pour sa fille, elle lui consacre sa vie.

La devineresse et l’enfant disparurent un jour ; nul ne les revit.

III.

Des années se sont écoulées ; deux beaux enfants, Bernard et Sibilla, sont venus jeter par leur gaieté un rayon de bonheur sur l’antique demeure féodale. Devant leurs sourires, les nuages des premiers jours se sont dissipés. La jeune mère ne se rappelle plus la vieille qui a maudit sa race; tout ceci n’est pour elle qu’un rêve dont nul ne lui rappelle le souvenir.

Seul le baron de Paracolls n’a pas oublié l’anathème lancé par Guillelma. Parfois, au souvenir de la morte qu’il a tant aimée puis délaissée, son front se rembrunit. Qu’est devenu le bel enfant qui doit lui succéder? La grand-mère l’a si bien caché à tous les regards que les recherches qu’il a fait faire pour retrouver ses traces sont restées infructueuses.

Depuis quelque temps, le souvenir de l’imprécation lancée par la devineresse hante l’esprit du baron de Paracolls. Était-ce un rêve, une vision? Mais il a aperçu, l’autre soir, une ombre menaçante se dresser tout à coup devant lui ; voulant la suivre, la vision avait disparu.

Il tremble pour la vie de ses enfants; sa race doit s’éteindre, il est maudit !

Comme si ses craintes devaient se réaliser, une bande de brigands venus du fond de l’Espagne ravage le pays depuis quelque temps. Ces bandes parfaitement organisées, sous la direction de chefs intrépides, se livrent à une guerre sans merci contre les monastères et les châteaux. Ayant trouvé deux de ces soldats sur ses terres, le Baron Guillem les fait pendre bel et bien ; un défi auquel leur chef allait sans doute répondre.

En prévision de toute surprise, Guillem s’entoure de précautions; le château est pourvu de vivres pour un temps très long, les engins de guerre sont disposés pour la défense, et les hommes armés n’attendent qu’un signal pour marcher au combat. Un soir, la sentinelle en observation devant le donjon signale la présence de troupes qui dissimulent leur approche dans la nuit des rochers pour arriver furtivement sous les remparts.

Au matin, l’ennemi se démasque; il fait le siège de la forteresse. Plusieurs combats meurtriers sont menés, mais l’ennemi revient sans cesse sous les murs, essayant de monter à l’assaut. Tentative téméraire repoussée avec succès par les assiégés ; ne confiant à personne la défense de sa demeure et la vie des siens, le baron Bernard de Paracolls fait souvent le tour des remparts pour s’assurer de la bonne exécution de ses ordres.

Une nuit, dans le chemin de ronde, son attention est attirée par un bruit de voix; il croit entendre les mots de poterne ouverte, de vengeance. Une voix du dehors répond à une vois intérieure. Le dialogue continue, aussi bas que possible mais pas assez cependant pour que le châtelain qui s’est doucement rapproché ne pût en saisir le sens ; un de ses soldats, un de ses hommes à lui, voulait livrer le château par vengeance ! Oui, par vengeance, il n’y a pas de doute, le soldat refuse une forte somme d’argent pour prix de sa trahison.

Le sifflet qu’il porte à sa ceinture retentit vivement. Des hommes accourent à cet appel ; avant que le traître ne soit revenu de sa surprise, il était garrotté. On le transporte dans la salle de justice, pour obtenir de lui des aveux et connaître ses complices; mais toutes les questions qui lui sont adressées restent sans réponse, les menaces de torture restent sans effet. Lorsqu’on lui a enlevé ses vêtements, chacun constate avec stupeur que ce soldat est une femme.

«Oui ! » s’écrie-t-elle, exaspérée par la découverte de son secret,« oui, je suis Guillelma la devineresse ! Seigneur de Paracolls, me reconnais-tu? Frappe, bourreau, je me ris de tes coups ! Voilà des années que je vis sous ton toit, m’étant abaissée au rôle de servante, épiant l’heure de ma vengeance. Au jour du combat, j’ai revêtu des habits d’homme, sachant qu’ils me permettraient de m’approcher de l’ennemi pour vous livrer toi et les tiens. Ta race va s’éteindre, ton fils Bernard va mourir demain; je l’ai empoisonné ! »

À ces menaces sans nom, à cette terrible révélation, le baron de Paracolls bondit l’épée à la main; seule s’arrêtent les ricanements sourds de la vieille.

«Qu’on fouette cette femme! », s’écria-t-il. On l’attache à une colonne, et les lanières de fouets sillonnent ce corps desséché de leurs zébrures sanglantes. La femme ne pousse pas un cri.

«-Guillem de Paracolls, ton fils mourra demain, et l’autre, l’aîné, l’enfant de ma fille adorée, celui qui devait perpétuer ta race, tu ne le reverras jamais ! Il est vaillant ! Il y a de ton sang dans ses veines !

Si tu ne me dis où il est, femme de malheur, je te tue ! Non, ce serait trop doux, il me faut un supplice horrible, épouvantable, qui te fasse périr de mille morts ! Parle, parle vite ! »

Un ricanement sauvage lui répond : «je me venge, je me venge, entends ce tumulte; c’est l’ennemi, il brûlera ton château, tu périras avec lui, telle est ma prédiction. »

Au paroxysme de la rage, le seigneur donne des ordres barbares, Guillelma est placée dans un tonneau garni de longs clous qui traversent en dedans avec toutes sortes de débris de poteries, de verre cassé, de pierres, de morceaux de fer. Le tonneau refermé est lancé par-dessus le rempart, du côté de l’orient qui est le plus escarpé. Il vient tomber, bondissant de roche en roche, dans le goure de la mousse, ainsi nommé depuis du nom de moussa, qui en catalan veut dire servante.

Selon la prédiction de Guillelma, une flèche aiguë atteint le baron de Paracolls et le blesse mortellement. Son fils est mort dans d’atroces souffrances; le château, en partie brûlé, est pillé et saccagé par l’ennemi. Seules la baronnesse de Paracolls et sa fille survivent au désastre.

IV.

Dans un des replis des montagnes de la vallée de Molitg, il existait encore au xv-me siècle les ruines d’une chaumière autrefois habitée par un moine venu, disait-on, du monastère de Saint Martin du Canigou.

Qu’y avait-il de vrai dans ce racontar? Personne n’eut su le dire. Mais un soir, très tard, un religieux de l’ordre s’arrêta, brisé de fatigue, sur le seuil de cette cabane, ancienne demeure de charbonniers, et comme si l’aspect désolé des lieux avait répondu à l’état de son âme, il prit possession de la chaumière abandonnée. Il vivait là, triste et solitaire, partageant son temps entre le travail et la prière, passant des heures entières dans une muette extase, demandant à Dieu la paix du cœur. Qui était-il ?

Un grand seigneur, sans doute. Tout dans ses manières et sa tournure montrait l’homme qui avait porté une armure, le soldat habitué à commander. Aucune question indiscrète ne vint troubler sa quiétude, les montagnards le considéraient avec une sorte de respect. On l’avait vu souvent, le soir, errer aux alentours de Paracolls. Des paysans l’avaient aperçu agenouillé pendant des heures entières sur les bords du goûr de la mousse.

Pendant de longues années, le pauvre môme vécut dans sa solitude, faisant le bien, secourant les malheureux.

Ne le voyant pas sortir depuis plusieurs jours, des voisins charitables vinrent s’informer du motif qui le retenait dans sa demeure. On le trouva mourant sur sa couche, les yeux tournés vers Paracolls, ses lèvres desséchées s’agitant encore dans une dernière prière. Quelque temps après, celui qu’on appelait le saint ermite n’était plus.

On déposa son corps à l’ombre de deux chênes qu’il avait plantés dans son jardinet; le supérieur du monastère de Saint Martin du Canigou vint pleurer sur sa tombe et, en se retirant, y plaça une croix de bois où était inscrit le nom Raymond de Paracolls.

Raymond qui avait eu le temps d’expier les péchés de ses aïeux.

(source inconnue)